Algérie : Au-delà du devoir d’inventaire, la nécessaire réconciliation

 Chems Eddine Chitour

Global Research 

 

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«La colonisation a été un système inéquitable et oppresseur. La guerre d’Algérie a produit, comme toute guerre, des tragédies humaines. Dire cette vérité, n’est pas rajouter du malheur à la douleur, c’est accomplir notre devoir à l’égard de toutes les victimes de cette période»

François Hollande juillet 2006

 

«C’est aux historiens et aux chercheurs des deux pays d’entamer un véritable travail commun de lecture de cette Histoire dense et riche, marquée par des hauts et des bas qui témoignent de l’intensité de nos relations. Mais d’un point de vue politique et stratégique, je ne peux que réaffirmer l’obligation pour l’Algérie et la France de travailler ensemble tant leurs interdépendances sont nombreuses. Nous avons une responsabilité devant nos peuples.»

Abdelaziz Bouteflika décembre 2012

 

Le président français François Hollande nous rend visite. Qu’il soit le bienvenu dans cette Algérie avec laquelle, dit-on, il a une réelle empathie. Pour la clarté des choses, nous allons en honnête courtier situer le contexte, le bien-fondé et les attendus de cette visite, dont une fois de plus, les Algériens attendent beaucoup. Cinquante ans de relations tumultueuses, le fossé est toujours aussi béant, faut-il comme l’a suggéré Bernard Kouchner, attendre  une éclaircie dans les relations algéro-françaises avec le départ darwinien de la génération de Novembre ?. Est-ce l’Africain qu’est l’Algérien est enfin sorti de l’histoire? Cette phrase a fait beaucoup de dégâts dans l’imaginaire algérien au même titre que ce tremblement de terre qui eut lieu un matin de 1830 et dont les répliques se font encore sentir.

 

Les Algériens n’ont pas jailli du néant. L’apport de l’Islam

 

S’agit-il d’une visite à caractère économique? La frustration serait grande! En fait, pour la France, l’Algérie doit demeurer ad vitam aeternam un marché à l’instar des paléo-relations métropole-province. Le monde a profondément changé mais le fond rocheux des relations algéro-françaises est resté celui d’un 5 juillet 1962 date à laquelle l’Algérie et la France se sont séparées dans la douleur.

Akram Belkaïd rapporte les propos d’un haut responsable algérien qui déplore cet échange marchand sans sédimentation après 50 ans d’un réel savoir-faire en Algérie: « On se croirait revenus au début des années 1980, quand Pierre Mauroy et Edith Cresson nous sommaient d’acheter du Made in France pour aider la gauche française au pouvoir. C’est un peu le même discours qui nous est servi en ce moment. Aujourd’hui, nous voulons parler de partenariat et de Co-localisation, et, en face, il n’est question que de nous fourguer (sic) des produits français que, de toutes les façons, nous achetons déjà ou que nous pouvons acheter ailleurs.»(1)

 

L’Islam et les Arabes, tant diabolisés par les hommes politiques et une presse aux ordres, ont eu leur heure de gloire. Dans cet ordre, il est bien connu que le tempérament algérien s’accommode mal de l’injustice, de la «hogra» du rapport à la dignité . Aussi et au risque d’être redondant , quelques éléments sur se socle rocheux algérien constitué par l’identité et la religion  «J’ai toujours ressenti écrit André Miquel, une estime particulière pour Ma’mûn, ce fils du fameux Haroun al-Rachid. Au IXe siècle, alors que l’Occident chrétien peine à sortir d’une époque de troubles, ce calife de Baghdad encourage la traduction en arabe des œuvres grecques, fonde un institut des sciences et invite ses frères à discuter des rapports entre religion et raison, débat aujourd’hui encore d’une étonnante actualité. J’ai donc voulu le faire revivre en renouant avec un genre très en honneur dans la littérature arabe classique: les maqâmât, des entretiens autour d’un sujet convenu ou sans programme préétabli.

 

Les Lumières sont certes un phénomène occidental, directement lié à l’évolution des sciences et du christianisme. Mais ce mouvement a pu dans certains pays être orchestré ou favorisé par un pouvoir “éclairé” : Louis XV, par le relais de Madame de Pompadour, ou Frédéric II de Prusse ont fait au XVIIIe siècle ce que Ma’mûn a tenté au IXe, favoriser les sciences et les arts. Certes, ce calife n’a pas tout inventé: les traductions des œuvres grecques avaient commencé avant lui et le mouvement s’est amplifié du fait de l’ouverture du monde musulman à l’Iran et à l’Inde. (…)

 

Ce que j’ai voulu montrer, c’est l’ouverture d’un Islam trop oublié aujourd’hui. Les chrétiens et les juifs restaient libres de pratiquer leur foi, avec l’assurance de la protection du pouvoir. (2)  Non les Musulmans n’étaient pas des barbares !

 

Dans ce cadre aussi, l’amnésie savamment entretenue fait que   le sort peu enviable fait aux Algériens «ces pelés, ces galeux d’où viennent tous les maux» de la France à en croire Marine Le Pen, nous interpelle en conscience. Ces Algériens ont décidé de vivre en France, pour l’immense majorité d’entre eux veulent vivre en paix,  leur spiritualité à l’ombre des lois de la République tout en apportant leur part culturelle à l’image de la France.

 

C’est donc de dignité qu’il s’agit aussi quand on voit les chaînes interminables pour aller mendier un hypothétique visa qui ne vient pas. Pire encore, la France des droits de l’homme a une position singulière s’agissant des intellectuels et universitaires. Le visa est distillé parcimonieusement, pourtant là encore si la francophonie est ce qu’elle est, c’est que quelque part les universitaires et intellectuels algériens la «nourrissent» en lui permettant de résister au raz-de-marée de l’anglais.

 

Pour Alain Ruscio: «(…) Il y a encore beaucoup de Français et d’hommes politiques qui sont dans la situation de penser, non plus qu’il y a d’un côté la civilisation et de l’autre la barbarie, mais que notre civilisation est plus tolérante, plus humaine, plus humaniste que les autres. L’autre aspect c’est que la France, là aussi, a avec le monde arabo-berbère en Afrique du Nord et plus encore en Algérie, une spécificité qui concerne le racisme anti-maghrébin, plus anti-algérien. C’est le racisme le plus ancré en France et qui agit. Il convient de noter que ce racisme anti-arabe et anti-maghrébin est plus ancien que la Guerre d’Algérie, les premiers textes assimilant barbarie et monde musulman datent des croisades.»(3)

 

Le devoir d’inventaire de la reconnaissance de l’œuvre algérienne pour la France

 

En réponse au négationnisme des «nostalgériques» il est nécessaire de revenir sur la clochardisation de la société algérienne, pour reprendre une expression de Germaine Tillon. Tout au long de ces 132 ans, l’œuvre coloniale ne fut pas positive car le fameux bréviaire a été décliné de toutes les façons possibles.

 

Certes, nous l’avons écrit: à titre individuel des instituteurs, des médecins, des Européens admirables tentèrent d’alléger les souffrances des Algériens, mais ils furent en petit nombre. Nous leur serons à jamais reconnaissants. Les rares Algériens instruits furent des voleurs de feu. Moins d’un millier d’Algériens formés en 132 ans. Après la conquête brutale, la politique du talon de fer, du sabre, et avant celle du goupillon, ce fut la curée, imaginez la Casbah dont le trésor fut évalué à plus de 200 millions francs or, pillé. Tout fut bon pour être arraché à ses propriétaires, une nuée d’agioteurs mit en coupe réglée une Algérie ouverte à tous vents.

 

Pour l’histoire, des Algériens furent recrutés dans les troupes françaises depuis 1837 (les fameux turcos) on parle justement de ces zouaouas recrutés par tous les moyens – la famine, la peur-) que l’on appela les zouaves au point que la statue du zouave du pont de l’Alma indique les crues de la Seine. Ils furent ensuite envoyés lors la guerre du Levant en 1865… Ensuite, ce fut la guerre de Crimée, puis la guerre de 1870: parmi les plus braves, on cite les Algériens qui arrivèrent à enlever une colonne à Wissembourg, moins d’une centaine de rescapés sur les 800 du fait d’un chassepot allemand qui fit des ravages. Après le cauchemar de Verdun et du Chemin des Dames, des milliers d’Algériens y laissèrent leur vie ».(4)

 

«  Lors de la Seconde Guerre mondiale, les troupes coloniales furent, d’emblée, massivement intégrées aux plans de bataille et, placées en première ligne, notamment à Monte Cassino le 22 mai 1944. Il y eut 140.000 soldats algériens. Il y eut 14.000 morts et 42.000 blessés. Ce sont, en partie, ces soldats qui revinrent ensuite au pays, pour voir leurs familles massacrées un jour de mai 1945… Enfin, la part du sang et de la bravoure est illustrée par un fait ignoré: l’apport des Algériens à la résistance française à une époque où des Français abandonnèrent leurs concitoyens de confession juive. Les Algériens du FTP (Francs-tireurs partisans) avaient aussi pour mission de secourir et de protéger les parachutistes britanniques et de leur trouver un abri.»(4)

 

Les «trente glorieuses» réussirent aussi grâce à l’apport des Algériens qui, après avoir versé leur sang pour la France, aidèrent massivement pour sa reconstruction. On ne peut passer sous silence l’apport culturel de l’Algérie. Pourtant, malgré tout ce déni de personnalité, l’Algérie eut aussi sa part, souvent la plus terrible dans le rayonnement de la France, à la fois pour défendre ses frontières, développer son économie, et participer par l’enseignement du français au rayonnement culturel de la France qui peine à résister- même à l’anglais- la vulgate planétaire- selon le bon mot de Pierre Bourdieu. Les Algériens ont donc fait fructifier le «butin de guerre» que fut la langue française, à telle enseigne que l’Algérie paradoxalement est le deuxième pays francophone, elle a donc non seulement défendu la langue, l’a enrichie en lui adjoignant des termes spécifiquement algériens mais, cerise sur le gâteau, offert à l’Académie française une écrivaine de talent en la personne d’Assia Djebar. En 2012, d’une façon ou d’une autre, 36 millions d’Algériens parlent, pensent et achètent à des degrés divers français. Mieux encore, une grande partie de la matière grise est attirée par la France qui reçoit ainsi, sans avoir dépensé un sou, la fine fleur de l’Algérie. Cette élite écrit le docteur Souilamas, grand chirurgien des hôpitaux de Paris, peut être un formidable levier de la coopération bilatérale. «Ils ont échangé, dit-il, le “marteau-piqueur ou la truelle contre le bistouri ou le stéthoscope, le mépris, le chantier contre l’hôpital, les travaux publics contre la médecine. Ils peuvent au mieux passer de manœuvre à ouvrier qualifié”» (4)

«L’apport de l’Algérie assurément, est objectivement à mettre sur le compte de l’œuvre positive de l’Algérie pour la France. Le peuple de France doit savoir qu’au sortir de la guerre, l’Algérie était profondément meurtrie sur une population de huit millions d’habitants, deux millions de personnes furent déplacées et regroupées pour couper les combattants algériens de leur base arrière, 10.000 villages furent brûlés, ce fut une intégrale de l’horreur, une sorte de condensé sur huit ans des horreurs de l’invasion.  A bien des égards, les perturbations existentielles qui nous occupent, sont des répliques d’un tremblement de terre qui a eu lieu le 5 juillet 1830… Il est immoral que la France considère qu’elle a soldé ses comptes en 1962. C’est cela aussi la vraie dette de la France.»(4)

 

Les tentatives multiples pour le rapprochement

 

Pour rappel, les relations tumultueuses de ce couple infernal qui, malgré tout, –du fait des multiples  liens, Jacques Chirac disait qu’un Algérien  sur sept à des liens avec la France- ne veut pas divorcer. On le sait,  il y eut des avancées notables et des reculs. On se souvient que Jacques  Chirac avait ainsi fait reconnaître par son ambassadeur, Hubert Colin de Verdière, le massacre de Sétif en 2005. Il a essayé d’aller jusqu’au traité d’amitié en 2003, et l’année de l’Algérie en 2003 a été un succès. Au début des années 2000, Alger et Paris planchaient sur la signature d’un Traité d’amitié censé clore la période heurtée de l’après-indépendance. Après le passage calamiteux de Nicolas Sarkozy bien conseillé par les Bruckner, sur «la tyrannie de la repentance» exprimera un choix, un parti pris et encouragera une écriture révisionniste de l’histoire en confiant la fondation pour la mémoire de la Guerre d’Algérie à des historiens révisionnistes et des associations Algérie française. A l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, François Hollande avait adressé une lettre au président Bouteflika dans laquelle il estimait qu’il y «a place désormais pour un regard lucide et responsable» de la France sur son passé colonial en Algérie.

 

Le 17 octobre dernier, le président Hollande écrivait: «Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes.»

 

Qui empêche la France, celle qui se revendique des droits de l’homme de se grandir en reconnaissant aussi à la fois son devoir vis-à-vis de l’histoire et sa faute pour l’aventure coloniale? Certes, on peut disserter sur la responsabilité des enfants des actes de leurs parents, comme l’ânonnait Sarkozy mais, est-il juste de ne sortir ce faux argument qu’en ce qui concerne l’aventure coloniale? Et les autres fautes de la France qu’elle n’arrête pas d’expier?

 

On le voit, la France avance avec parcimonie, il a fallu plus de quarante ans pour que les « évènements d’Algérie » soient reconnus comme étant la « guerre d’Algérie ». Pourquoi ne pas traverser le Rubicon  et déclarer par exemple à l’instar du  préambule des Accords de Nouméa de 1998 sur l’indépendance de la Nouvelle Calédonie que « la colonisation a été une domination étrangère imposée aux populations autochtones, qu’elle a été destructrice des sociétés et des cultures ? »Cela ferait avancer considérablement les choses et arrêter de perdre du temps tant les chantiers du futurs sont importants pour bâtir une nouvelle relation  d’égale dignité mutuellement profitables.

 

Comment nous voyons l’avenir?

 

Dans une interview à l’Agence France-Presse, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a déclaré en substance: «Ce que l’Algérie attend de la France, c’est un accompagnement dans le processus de développement économique, social et humain, un vaste chantier en cours de mise en œuvre et qui nécessite un perfectionnement de l’élément humain, un transfert technologique réel et un partenariat gagnant-gagnant dans le système productif». Dans dix ans, il n’y aura plus de mémoire vivante ou si peu et le contentieux s’éteindra de lui-même sans que la France contrairement aux Etats- Unis -qui ont exorcisé leur histoire vietnamienne- ne regarde son histoire coloniale en face. Le virage porteur d’avoir c’est ici et maintenant. La réconciliation ne peut démarrer qu’à partir d’un geste fort que nous attendons.

 

Le souhait algérien d’une relation forte et dynamique rappelle à s’y méprendre les fondements du traité de l’Elysée en 1963 entre la France et l’Allemagne.

Alors, tout sera permis. Nous connaissons la situation délicate de l’économie française avec un déficit abyssal et un commerce extérieur qui peine à redécoller. Nous connaissons les besoins énergétiques de la France et l’Algérie peut y subvenir dans un partenariat gagnant-gagnant avec une parole désarmée d’égal à égal comme elle le fait avec les autres partenaires. Elle a en face d’elle un pays qui parle le français, le deuxième après la France. On dit que la France connaitra un déclin devant les nouveaux pays qui émergent; à elle de faire le choix car la mentalité de l’empire AOF et AEF a vécu. A la France d’inventer une nouvelle relation apaisée avec l’Algérie en tournant le dos au discours de Dakar à cette position grandiloquente et condescendante quand ils s’adressent aux Algériens.

 

Alors tout sera possible. L’avenir de la France c’est le Sud. C’est son flanc méditerranéen. Sans être naïf, rêvons d’un partenariat de Tamanrasset à Dunkerque, avec 100 millions de locuteurs de la langue française, 100 millions de consommateurs, une profondeur stratégique de 3500 km, une jeunesse exubérante, des chantiers titanesques, reverdir le Sahara, développer le renouvelable avec un réel potentiel. Il faut pour cela des universités en commun, des recherches communes. De plus, la «réparation» élégante, généreuse peut revêtir la construction par la France d’une grande bibliothèque numérique comme celle d’Alexandrie pour effacer la douleur de l’incendie de la Bibliothèque nationale en juin 1962. Ce serait un geste fort. En définitive, la France a une chance historique de tourner la page et d’écrire l’avenir avec l’Algérie dans une région qui sera de plus en plus tumultueuse, une région où l’Algérie, avec sa profondeur stratégique sera un acteur majeur. Alger vaut bien une messe…

 

Pr. Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz

 

1.http://www.slateafrique.com/100119/hollande-alger-pour-l-apaisement-et-le-commerce

 

2. A. Miquel: Connaître son héritage arabe n’empêche pas d’être français. Le Point 14 12.2012

 

3. Alain Ruscio. Historien: «Une déclaration du président Hollande.» El Watan 15.12.12

 

4. Chems Eddine Chitour : http://www.mondialisation.ca/ce-que-fut-la-colonisation-l-oeuvre-positive-de-l-alg-rie-envers-la-france/31691

 

http://www.mondialisation.ca

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