Sabra et Chatila: le massacre oublié par Robert Fisk (The Independent)

Internationalnews

 

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Mecanoblog 18 Septembre 2012

 

Trente ans après le massacre...

 

Evidemment, la mémoire subsiste. L’homme qui a perdu sa famille dans un premier massacre et qui voit des jeunes gens de Chatila alignés après les dernières tueries et conduits à la mort. Mais – à l’instar des ordures empilées dans la décharge au milieu des taudis de béton – la puanteur de l’injustice imprègne toujours les camps où 1.700 Palestiniens furent massacrés – il y a exactement 30 ans. Personne n’a été traduit en justice et condamné pour ce massacre qu’un écrivain israélien a même comparé à l’époque au massacre des Yougoslaves par des sympathisants nazis au cours de la Seconde Guerre mondiale. Sabra et Chatila sont un mémorial pour les criminels qui ont fui leur responsabilité, qui s’en sont tirés sans être poursuivis.

 

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Khaled Abou Nour était adolescent, un milicien en herbe qui avait quitté le camp pour les montagnes avant que les Phalangistes, alliés d’Israël, n’entrent dans Sabra et Chatila. Le fait qu’il ne fût pas là pour combattre les violeurs et les meurtriers lui a-t-il donné mauvaise conscience ?

 

« Ce que nous ressentons tous, aujourd’hui, est la dépression », a-t-il dit. « Nous avons réclamé justice, des procès internationaux, mais il ne s’est rien passé. Pas une seule personne n’a été tenue pour responsable. Personne n’a été traduit en justice. Ensuite nous avons donc subi la guerre des camps de 1986 (lesquels se trouvaient entre les mains des Libanais chiites) et les Israéliens ont ainsi pu massacrer autant de Palestiniens dans la guerre de Gaza de 2008-2009. S’il y avait eu des procès pour ce qui s’est produit ici, il y a 30 ans, les tueries de Gaza n’aurait pas eu lieu ».

 

Bien sûr qu’il a raison ! Tandis que les présidents et les Premiers ministres se sont alignés à Manhattan pour pleurer les morts des crimes internationaux de 2001 contre l’humanité au World Trade Centre, pas un seul dirigeant occidental n’a osé se rendre sur les charniers infâmes, froids et humides de Sabra et de Chatila, ombragés par quelques arbres chétifs et des photos délavées des morts. Il faut dire aussi qu’en 30 ans, pas un seul dirigeant arabe ne s’est donné la peine de visiter la dernière demeure d’au moins 600 de ces 1700 victimes. Les potentats arabes ont le cœur qui saigne pour les Palestiniens mais un vol pour Beyrouth pourrait être un peu trop ces derniers temps – et lequel d’entre eux voudrait offenser les Israéliens et les Américains ?

 

Il est ironique – et néanmoins important – que le seul pays qui ait mené une enquête officielle sérieuse, bien que viciée, sur ce massacre, soit Israël. L’armée israélienne a envoyé les tueurs dans les camps et a ensuite regardé – et n’a rien fait – tandis que l’atrocité se déroulait. Un certain lieutenant israélien, Avi Grabowski, en a donné les preuves les plus éloquentes. La Commission Kahan a tenu le ministre de la Défense d’alors, Ariel Sharon, pour personnellement responsable, puisque celui-ci a envoyé les impitoyables Phalangistes anti-palestiniens dans les camps pour « déloger les terroristes » – « terroristes » qui se révélèrent être aussi inexistants que les armes de destruction massive de l’Irak, 21 ans plus tard.

 

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Sharon a perdu son job mais est devenu plus tard Premier ministre, jusqu’à ce qu’il soit frappé par une attaque cérébrale dont il a survécu, mais qui lui a ôté même le pouvoir de parler.

Elie Hobeika, le dirigeant de la milice chrétienne libanaise qui a conduit ses meurtriers dans le camp – après que Sharon eut dit à la Phalange que des Palestiniens venaient d’assassiner leur dirigeant, Bachir Gemayel – fut assassiné des années plus tard à Beyrouth Est. Ses ennemis ont prétendu que les Syriens l’avaient tué, ses amis ont accusé les Israéliens ; Hobeika, qui était « passé » dans le camp syrien, venait d’annoncer qu’il « dirait tout » sur les atrocités de Sabra et de Chatila devant une cour belge qui souhaitait traduire Sharon en justice.

 

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Bien sûr, ceux d’entre nous qui ont pénétré dans ces camps au troisième et dernier jour du massacre – le 18 septembre 1982 – ont leurs propres souvenirs. Je me souviens de ce vieil homme en pyjama allongé sur le dos dans la rue principale avec son innocente canne à côté de lui, de ces deux femmes et d’un bébé abattus près d’un cheval mort, de la maison dans laquelle je me suis réfugié pour me cacher des tueurs avec mon collègue Loren Jenkins du Washington Post - pour découvrir une jeune femme morte allongée dans la cour à côte de nous. Certaines de ces femmes avaient été violées avant d’être abattues. Des armées de mouches, la puanteur de la décomposition. Des choses que l’on n’oublie pas.

 

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Abou Maher a 65 ans – à l’instar de Khaled Abou Nour, sa famille s’est enfuie de leurs maisons à Safad, dans l’Israël d’aujourd’hui – et est resté dans le camp durant tout le massacre, ne croyant pas dans un premier temps les femmes et les enfants qui l’exhortaient à s’enfuir de chez lui. « Une voisine a commencé à crier et j’ai regardé par la fenêtre ; j’ai vu qu’elle avait été abattue et que sa fille essayait de s’échapper, et les tueurs l’ont poursuivie en criant “Tuez-la, tuez-la, ne la laissez pas filer !” Elle a crié vers moi mais je n’ai rien pu faire. Mais elle est parvenue à s’enfuir. »

 

Des voyages répétés pour retourner au camp, année après année, ont construit un récit avec des détails étonnants. Les enquêtes menées par Karsten Tveit de la radio norvégienne et moi-même ont prouvé que de nombreux hommes, qu’Abou Maher a vus, sont sortis du camp après le massacre initial, puis furent remis par les Israéliens aux tueurs phalangistes – qui les ont gardés prisonniers pendant des jours à l’est de Beyrouth et ensuite, lorsqu’ils n’ont pas pu les échanger contre des otages chrétiens, les ont exécutés dans un charnier.

 

Et les arguments pour détourner l’attention ont été cruellement déployés. Pourquoi se souvenir de quelques centaines de Palestiniens massacrés lorsque 25.000 ont été tués en Syrie en 19 mois ?

 

Ces dernières années, des supporteurs d’Israël et des détracteurs du monde musulman m’ont écrit pour m’injurier parce que je citais régulièrement les massacres de Sabra et de Chatila, comme si le compte-rendu de mon propre témoignage oculaire de cette atrocité avait – comme un criminel de guerre – un statut de restriction. Compte tenu de mes reportages (comparés à mes comptes-rendus de l’oppression turque), un lecteur m’a écrit : « Je conclus donc que dans ce cas (de Sabra et Chatila), vous avez un parti pris anti-israélien. Cela n’est basé que sur le nombre disproportionné de références que vous faites sur cette atrocité… »

 

Mais peut-on en faire trop ? La doctoresse Bayan al-Hout, veuve de l’ancien ambassadeur de l’OLP à Beyrouth, a rédigé le compte-rendu détaillé qui fait le plus autorité sur les crimes de guerre de Sabra et Chatila – c’est ce qu’ils sont – et conclut que dans les années qui ont suivi, les gens étaient effrayés par le souvenir de cet évènement.

 

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« Ensuite, des groupes internationaux ont commencé à parler et à enquêter. Nous devons nous souvenir que nous sommes tous responsables de ce qui est arrivé. Et les victimes sont toujours marquées par ces évènements – même celles qui ne sont pas encore nées seront marquées – et elles ont besoin d’amour ». Dans la conclusion de son livre, Mme al-Hout pose quelques questions difficiles – et vraiment dangereuses : « Les auteurs de ce crime étaient-ils les seuls responsables ? Sont-ils les seuls criminels ? Ceux-là même qui ont donné ces ordres sont-ils les seuls responsables ? Qui est responsable en vérité ? »

 

En d’autres termes, le Liban ne porte-t-il pas la responsabilité avec les Phalangistes libanais, Israël avec l’armée israélienne, l’Occident avec son allié israélien, les Arabes avec leur allié américain ? Madame al-Hout termine son enquête par une citation du Rabbin Abraham Heschel qui tempêtait contre la guerre du Vietnam. « Dans une société libre », disait le Rabbin, « certains sont coupables, mais tous sont responsables ».

 

Robert Fisk

 

 

Article original : The forgotten massacre

 

Traduction : JFG pour Questions Critiques

 

http://www.internationalnews.fr/article-sabra-et-chatila-le-massacre-oublie-par-robert-fisk-the-independent-110325848.html

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