Conflits au Liban : les failles politiques ou un nouveau front de guerre contre la Syrie

Cet article est la somme de mes lectures sur la situation actuelle du Liban.

Depuis la mi-mai, le Liban vit des perturbations qui ont commencé par un accrochage armé entre deux régions ennemies dans la ville de Tripoli au Nord du pays. Ces incidents habituels à Tripoli qu’on croyait localisés se sont propagés après une semaine, dans la ville voisine d’Akkar pour atteindre Beyrouth à la fin de la journée. Les médias français, peu prolixes sur la question, ont interprété schématiquement ces évènements par l’exportation du conflit syrien au Liban (tension entre pro et anti-régime Bashar). Cependant, on a omis d’exposer ce que j’appelle « l’exception politique libanaise » et ses enjeux géopolitiques qui sous-tendent l’inscription du pays dans la crise régionale. La congestion de la rue libanaise traduite par des accrochages armés est visiblement contagieuse et donne à croire que le pays s’avance vers une crise difficile à freiner.

 

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L’exception politique libanaise

 

Le modèle politique libanais se caractérise par ce qu’on peut appeler la « féodalité des partis » . Un nombre de personnes charismatiques monopolisent le pouvoir en s’appuyant sur l’ancrage socio-historique de leurs familles mais surtout sur la légitimité puisée dans le sectarisme qui divise la population depuis de longues années. Les grands partis feudataires comme le Hezbollah ou le Courant du Futur maintiennent une représentativité élevée grâce à l’argument de la toute-puissance et de la force militaire. Ils ravivent l’hostilité populaire à l‘état et fidélisent leurs partisans avec des services sociaux que le secteur publique ne peut toujours pas assurer. La propagande et le lavage de cerveau sont l’un des moteurs politiques puissants du pays. Chaque parti essaie d’exacerber les inimitiés voire la haine de ses électeurs vis-à-vis des partis représentant des rites opposés.

Dans un contexte de division et de domptage populaire d’une part et d’un changement de position permanent des partis politiques d’autre part, le pays se trouve dans l’impossibilité de créer un consensus national autant sur les questions locales que régionales.

 

Inscription dans le conflit syrien

 

Les autorités libanaises appréhendaient déjà la répercussion du conflit syrien sur la sécurité des régions frontalières. Les réfugiés syriens dont le nombre ne cesse d’augmenter avec la montée de la répression du régime de Bashar ont été présentés par le gouvernement libanais-officieusement pro-Bashar- comme un « foyer de tension sur son territoire » qui « entrave les efforts déployés pour empêcher la propagation du feu syrien au Liban ». Cependant  le pouvoir n’a pas pu afficher une position officielle da la crise syrienne et se cache encore derrière la politique de distanciation imposée par la division du peuple entre pourfendeurs et sympathisants du régime syrien. Mais cette position n’est plus acceptable à présent. On y reviendra.

Sur le terrain, les partis libanais participent depuis longtemps dans l’armement du conflit syrien, appuyés par leurs alliés géopolitiques. Le bloc anti-Bashar que sont les Etats-Unis et les pays du Golf finance l’Armée Syrienne Libre (sunnite) et a pour pion libanais le Courant du Futur (parti sunnite). Quant aux alliés du gouvernement syrien, ce sont l’Iran et le Hezbollah (parti shiite qui protège les alaouites).

Les sanctions économiques imposées à la Syrie n’ont eu aucun effet à court terme. De plus, le bloc anti-Bashar  s’est trouvé dans l’impossibilité d’installer une base d’appui efficace qui ravitaille l’Armée Syrienne Libre sur les frontières iraquiennes, turques ou jordaniennes et qui puisse renverser le régime syrien. Dans ce contexte, le Liban départagé n’est pas non plus une carte gagnante pour le bloc anti-Bashar. Un scandale a éclaté le mois dernier quand un navire venu de Lybie et destiné à la rébellion syrienne a été intercepté près de Beyrouth. Les autorités libanaises urgées par le Hezbollah  avaient  saisi trois containers d'armes. Ceux sont autant de lignes de mire du régime syrien qui reste hors d’atteinte.

L’intervention de l’Otan susceptible de mettre fin à la bataille n’est pas non plus envisageable car le bloc allié de la Syrie, Iran-Russie-Hezbollah est un adversaire de masse. Une guerre dans la région ne pourra être que mondiale et mettrait en danger Israël. L’équilibre de la terreur entre pro et anti-Bashar qui maintien un match nul au Liban devait donc être déstabilisé pour faciliter l’infiltration des forces opposées au régime syrien. C’est ainsi qu’on peut expliquer l’apparition des symptômes de « la contagion syrienne » apparus.

 

Début de la crise à Tripoli

 

De par sa proximité géographique et les échanges humains et économiques avec la Syrie, la ville du nord Tripoli, située seulement à 25 kilomètres de la frontière syrienne et appelée « Tripoli-Damas » par ses habitants, a toujours été perméable aux fluctuations de la situation de son pays voisin.

La région du Nord morcelée comme tout le Liban entre les différents rites se caractérise par une concentration islamiste notable et fortement armée qui est cependant partagée entre shiites et alaouites d’un côté et sunnites de l’autre. L’armée et le gouvernement qui ne détiennent pas le véritable pouvoir- mais subissent l’autorité du Hezbollah- n’ont pu désarmer aucune des partis antagonistes malgré l’insécurité  de la ville et le mécontentement de la population.

Depuis plus de trente ans, un conflit alimenté par les partis antagonistes oppose deux quartiers voisins de Tripoli : Jabal Mohsen (alaouites, pro-Hezbollah) et Beb Ettebene (sunnites anti-Bashar). Lors des accrochages, l’armée intervient généralement à postériori.

La Sureté Générale, organe gouvernemental dont le chef, le général Abbas Ibrahim est proche du Hezbollah pro-syrien, prétend ne jouer aucun rôle dans les enquêtes criminelles. Au début du moi de mai, cet organe a arrêté, en collaboration avec les services secrets syriens, un militant salafiste (sunnite) répondant au nom de Shadi Mawlawi, suspecté de coordonner avec et de financer des groupes terroristes. Cette arrestation éclair qui a ravivé les animosités a provoqué dimanche 12 mai des heurts entre Jabal Mohsen et Beb Ettebene. Les affrontements ont duré une semaine et fait dix morts et plusieurs blessés.

L’armée a été déployée lundi 14 après un week-end de terreur. Saad Hariri, leader du Courant du Futur, s’est alors vu dans l’obligation d’appeler ses alliés salafistes- qu’il finance avec l’aide des Etats-Unis et du Golf- à la « retenue ».

 

Assassinat d’un dignitaire sunnite anti-Bashar à Akkar

 

On croyait l’agitation cantonnée dans la ville de Tripoli, surtout après un retour relatif et méfiant au calme mais elle a atteint la ville voisine d’Akkar samedi 19 mai. Le convoi d’un imam sunnite nommé Abdelwahed, proche des islamistes syriens et libanais et du Courant du Futur avait refusé de s’arrêter à un barrage de l’armée, provoquant des tirs qui ont causé sa mort. L’armée a déclaré avoir trouvé dans sa voiture des armes. La ville d’Akkar s’est alors soulevée et les habitants ont demandé le retrait de l’armée. Les forces de l’ordre sont alors intervenues.

 

La crise atteint Beyrouth

 

Des manifestations peu importantes ayant pour prétexte l’indignation de l’«assassinat » d’Abdelwahed ont commencé à Beyrouth et ont vite tourné au drame. Plusieurs routes d’entrée de Beyrouth ont été incendiées par des personnes cagoulées. S’accusant mutuellement de tirer sur les manifestants, eux même armés[sic!], le Mouvement du futur et le Parti du courant arabe -petite formation sunnite pro Bashar- sont entrés en confrontation à coups de mitrailleuses et de roquettes. Chaker Al Barjewi, leader du Parti du courant arabe, sunnite mais sympathisant avec le Hezbollah, a démenti la relation supposée entre la mort de l’imam à Akkar et les incidents de Beyrouth. Cependant l’immeuble du siège du parti de Barjawi a été assiégé par les forces de Hariri et son bureau saccagé. Malgré les appels des habitants à cesser le feu ou les évacuer, les affrontements n’ont cessé qu’à l’aube quand Barjawi a pu s’enfuir après l’assassinat de l’un de ses accompagnateurs. Les confrontations ont fait trois morts et 18 blessés. Hariri a accusé Damas de vouloir semer le chaos au Liban pour détourner l'attention de la crise en Syrie.

Par ailleurs, Shadi Mawlawi est comparu aujourd’hui 22 mai devant le tribunal militaire de Beyrouth, déclarant appartenir à Al Qaida. Les activités des courants islamistes sunnites de Tripoli ont repris de plus belle aujourd’hui. Ces courants revendiquent  la libération de Mawlawi et menacent les autorités de venir à Beyrouth si elles ne s’exécutent pas. Il a finalement été libéré sans jugement.

 

Le Liban, nouvelle carte du bloc anti-Bashar

 

Les accrochages avaient donc commencé entre sunnites et alaouites à Tripoli puis ils ont opposé l’armée à un imam sunnite pro-Hezbollah à Akkar pour aboutir à un accrochage entre deux partis sunnites l’un pro l’autre anti-Bashar à Beyrouth. Le Mouvement du Futur, appuyé par d’autres parlementaires de l’opposition, réclame depuis hier 21 mai la démission d’un gouvernement qui ne sert pas trop l’intérêt de ses alliés géopolitiques. Il est évident que ces évènements n’étaient pas innocents politiquement.

Il est à noter que le pouvoir de ces mouvements salafistes (sunnites) est exponentiel à un tel point qu’il a même tiré sur le siège du Futur, le leader qui chapotait toutes les tendances sunnites du pays. Les Etats-Unis et le Golf appuient le milieu salafiste sunnite anti-Bashar et mettent en place une insurrection islamiste. Cette insurrection est à la fois contre le gouvernement-et donc l’armée- qui ne veut toujours pas prendre une position officielle de Bashar, contre ses leaders politiques qui n’ont toujours pas ouvert un véritable front qui appui l’opposition syrienne et contre tout autre mouvement sympathisant avec Le Hezbollah-comme la petite formation du Parti du courant arabe. Le bloc anti-Bashar ne recule devant rien, même pas nuire à leur allié Hariri, pour donner l’hégémonie aux salafistes susceptibles renverser l’armée libanaise et permettre une meilleure pénétration du sol syrien.

Ce plan ne pourrait s’implémenter sans grands dégâts vu l’équilibre des forces. Dans cette perspective, les Emirats Arabes Unis, le Koweït, le Qatar, le Bahreïn ont invité leurs ressortissants à quitter le Liban. C’est une déclaration de guerre ouverte, sinon une preuve inéluctable de la crise qu’on est en train de fabriquer pour le Liban.

 

Sources :

"لهذه الأسباب إنفجرت في طرابلس" سيمون بولس

"في أسس العلاقة مع النظام اللبناني: ديكتاتوريات إقطاعية" عماد البزّي

الشارع السني لقيادته: الأمر لي! ابراهيم الأمين

السّفير

Dhouha pour WikiStrike

 

http://www.wikistrike.com

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