Printemps arabe: lorsque les colonialistes répètent les expériences du passé

Al Manar

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Le Moyen-Orient ne s’est jamais complètement libéré de l'époque coloniale. C'est le véritable sentiment qui nous accompagne lorsque nous observons cette partie du monde, colonisé dans le passé, plus qu’aucune partie du monde. Endormie sur la majeure partie des réserves de pétrole mondiales, le monde arabe n’a jamais été épargné de l'ingérence étrangère continue, depuis qu’il est devenu indépendant.

Le monde arabe a été sculpté après la Première Guerre mondiale sous la forme d'Etats artificiels, avant d’être bombardé et occupé par Israël, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, et la France. Il est entouré par les bases américaines d’une part,  et les régimes autoritaires soutenus par l'Occident de l'autre. Cette description a été exprimée par la bloggeuse palestinienne Lina Sharif sur «Twitter» en disant: «la Première Guerre mondiale n’a jusqu’à présent pas pris fin au Moyen-Orient parce que nous en vivons encore les conséquences» ...

Les soulèvements arabes qui ont débuté en Tunisie se sont focalisés sur la pauvreté, la corruption et l’absence de liberté, au lieu de la domination occidentale, ou l'occupation israélienne. Mais le renversement de ces dictatures soutenues par l'Occident constitue en fait une menace directe au système stratégique.

Depuis la chute de Hosni Moubarak en Egypte, les puissances occidentales, avec l’assistance de leurs alliés du Golfe, ont cherché sans relâche à écraser les révolutions arabes, en particulier parce qu'ils ont suffisamment d'expérience dans cet environnement.

Tous les centres de protestation, de l'Egypte au Yémen, ont vécu pendant des décennies sous l'hégémonie de l'impérialisme. Les états de l’Alliance atlantique qui ont participé au bombardement de la Libye par exemple (les Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie) ont été toutes des forces d'occupation dans ce pays ... et au cœur des mémoires vivantes.

Si les révolutionnaires arabes voulaient prendre en main leur avenir, ils devraient garder l’œil sur leur passé récent ...

Voici sept leçons de l'histoire sur l'intervention occidentale au Moyen-Orient, intitulé  « L'époque coloniale » (selon les archives de «Pathé» en France), et qu’il est utile de rappeler:

1- Jamais l’Occident n’a cessé ses efforts pour contrôler le Moyen-Orient:

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Revenons à la dernière fois lorsque des pays arabes ont essayé de sortir de l'orbite occidentale durant les années cinquante du siècle dernier, sous l'influence de l'arabisme du dirigeant égyptien Gamal Abdel Nasser. En Juillet 1958, les officiers nationalises radicaux de l'armée irakienne ont renversé un régime corrompu et répressif soutenu par l'Occident (ceci vous semble-t-il familier?), barricadé par forces britanniques. Ce coup d’état contre la monarchie irakienne dans ce pays riche en pétrole l’a transformé en «point de menace principale» selon l'avertissement «Pathé» dans le premier rapport sur les évènements.

Malgré le nationalisme du roi Fayçal, que personne ne peut contester, les évènements se sont malheureusement très vite tournés «au profit de la politique occidentale». Mais en quelques jours – assez peu par rapport à l'intervention plus ou moins longue en Libye cette année - , la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ont transféré leurs troupes en Jordanie et au  Liban pour y protéger leurs deux autres alliés face à la révolution nassérienne, ou plutôt «pour arrêter la détérioration du Moyen-Orient».

Après moins de 5 ans, en Février 1963, les services de renseignements américain et britannique ont soutenu le coup d’état sanglant, qui a amené au pouvoir le représentant du Baas, l'ancien président Saddam Hussein. En 2003, les États-Unis et la Grande-Bretagne sont retournés pour envahir l'Irak en entier lequel se trouve de nouveau gouverné par l’hégémonie des pays occidentaux, à un cout élevé de sang et de destruction. La force de la résistance irakienne a en fin de compte provoqué le retrait des Etats-Unis cette semaine. Mais il s’ensuit toujours cette démarche : vont rester sur place quelque 16.000  contractuels sécuritaires et entraineurs  sous le commandement des États-Unis. En Irak comme dans d'autres parties de la région, les Américains ne s’en vont que lorsqu’ils ont été forcés ...

2- Les puissances impérialistes dépendent de l’illusion qu’elles se font de ce que les Arabes pensent d’elles

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En 1937, les occupants coloniaux ont pensé que  «les milliers d'Arabes» ont tari d'éloges le dictateur fasciste Mussolini, alors qu’il se promenait dans les rues de Tripoli en Libye, jadis colonie italienne. Le tiers du peuple libyen ont été tués sous l'occupation italienne, et qui constituent les éléments réellement nobles de la résistance libyenne dirigée par Omar Mokhtar, lorsque ils ont été pendus dans l'un des camps italiens ...

Le rapport de «Pathé» raconte la visite de la reine britannique du  colonialisme à Aden (qui fait aujourd’hui partie du Yémen), quelques années plus tard. Les deux évènements se ressemblent énormément.  Ce jour-là, «des milliers de fidèles sujets» ont scandé pour accueillir « leur propre reine » avec des slogans de bienvenue. Elle avait été  qualifiée à cette époque avec plaisir comme «l’excellent prototype de développement colonial». 10 ans plus tard, les courants de libération au sud du Yémen ont contraint les forces britanniques à se retirer, après avoir été victimes de tortures, de persécutions et de meurtres dans les quartiers d'Aden.

En outre, les néo-conservateurs ont prédit publiquement que l'invasion américaine de l'Irak sera tout juste une promenade, et c'est ce que la couverture médiatique américaine et britannique s’est attelée à montrer en diffusant des images des soldats irakiens jeter des fleurs aux forces étrangères alors que les mouvements de résistance étaient en pleine mobilisation. Lors de l'invasion de l'Afghanistan, les reportages télévisés diffusés au Royaume-Uni disaient que les troupes britanniques ont pour but de  « protéger la population locale» des talibans.

Même pendant les soulèvements de cette année en Egypte et en Libye, les médias occidentaux diffusaient ce qu’ils voulaient voir dans la foule à la Place Tahrir ou Benghazi, avant de déclarer en toute surprise que ce sont les islamistes qui ont remporté les élections.

3-Les grandes puissances ont pendant longtemps procédé par intimidation avec les régimes-agents pour s’assurer l'écoulement du pétrole

Quand il s'agit de la tyrannie des pays du Golfe, l’on constate que ces régimes ne sont pas gênants. Mais avant la vague d'anti-impérialisme des années cinquante, les Britanniques, les Français et les Américains ont travaillé ensemble pour faire croire que ces régimes « ridicules » aspirent à une démocratie constitutionnelle. Mais cet efforts se sont avérés parfois vains, surtout en Libye, où eut lieu « le premier test majeur de la démocratie» durant le règne du roi Idris, la marionnette des États-Unis  et des Britanniques.

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La fraude insolente des élections de 1952 contre l'opposition islamique a provoqué des émeutes généralisées, au bout desquelles tous les partis politiques ont été interdits de continuer leur parcours. Mais Kadhafi est parvenu à renverser Idris et à fermer tous les canaux de pétrole nationalisés ainsi que la base américaine «Wheelus» . Aujourd'hui, le drapeau du roi flotte à nouveau à Tripoli, avec l'aide de l'OTAN, en attendant que les compagnies pétrolières occidentales attendent le  moment de la collecte des profits.

En Irak aussi, en 1952, les deux ambassadeurs américain et britannique ainsi que «M. Gibson», le représentant de British Petroleum – Irak se tenaient debout face au Premier ministre irakien Nouri al-Saïd lequel déclarait que l'ouverture de champ pétrolier «Zubair» près de Bassora, vise à ouvrir des écoles et des hôpitaux avec la coopération de l'Ouest  et de l’Est  ... Près d’un demi-siècle plus tard, les Britanniques ont repris le contrôle de Bassora, alors que les Irakiens luttent pour empêcher la confiscation de leur pétrole  par l’Occident et que les politiciens Américains et Britanniques insistent pour la «démocratisation» de l’Irak.

4-Les peuples du Moyen-Orient n'ont pas oublié leur histoire

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Lorsque Mohamed Hassanein Heykal, , le journaliste vétéran égyptien et ministre de l'Information pendant le règne de Nasser a mis en garde contre un nouveau «Sykes - Picot» conçu pour la région, avec le déclenchement du printemps arabe, les Arabes et d’autres au Moyen-Orient ont compris  ce que cela signifie. C’est la convention qui a dessiné la région et ses relations avec l'Occident depuis ce moment,  alors que pour les non-spécialistes en Grande-Bretagne et la France, «Sykes - Picot» peut être une marque commerciale ambigüe.

La même chose s'est produite en Iran après presque un siècle d'intervention américano-britannique. Est-il possible de lire l'hostilité iranienne à l’encontre des Britanniques, quand ils ont attaqué leur ambassade à Téhéran, loin du registre historique entre les deux pays? En 1953, le rôle britannique a contribué au coup d'Etat contre le président iranien, élu démocratiquement, Mohammed Mossadegh, après la nationalisation du pétrole iranien. Ce qui a ouvert la voie au retour du Shah, reçu comme un chef populaire, alors qu’il n’était qu’un « dictateur caché» soutenu par l'Occident. Ce qui a poussé les Iraniens à se révolter contre lui. Raison pour laquelle lorsque les politiciens occidentaux se mettent à stigmatiser le système autoritaire en l'Iran,  en appelant à la liberté et aux droits humains, tout en coopérant de l’autre côté avec les régimes du Golfe, personne parmi les Arabes ne les prend au sérieux.

5- Les Occidentaux ont pendant longtemps présenté les Arabes comme étant des fanatiques

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La révolution de Sidi Bouzid abord contre la tyrannie en Tunisie n’est pas la première. Dans les années cinquante, le mouvement contre la domination coloniale française a été réprimé par le régime colonial et ses partisans, sous prétexte qu’il est dirigé par des militants «extrémistes» et «terroristes» ... à cette époque, la nationalisme arabe a contribué à la répression des islamistes et de leurs courants lesquels furent expulsés au motif qu’ils sont «fanatiques», aussi bien de la part de l'Occident que de certains nationalistes.

Au moment où les élections législatives dans le monde arabe d'aujourd'hui apportent au pouvoir les partis islamiques, l'un après l'autre, les Etats-Unis et leurs alliés tentent de les apprivoiser  sur le plan de la politique étrangère et économique, plutôt que de plonger dans l'interprétation de la charia ... Ceux qui accèderont au pouvoir seront appelés les «modérés», et les autres «fanatiques».

6- les séquelles de l’intervention militaire étrangère au Moyen-Orient: mort, destruction, division et pouvoir.

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L'expérience des dernières décennies est assez claire. Qu’il s’agisse d’une occupation similaire à ce qui s'est passé en Irak, où des milliers sont morts, ou d’une invasion militaire aérienne à l’instar de la Libye  avec comme prétexte  «la protection des civils», les deux choses sont une : un cout catastrophique sur le plan humanitaire et social. Depuis l'invasion des troupes coloniales françaises à Damas en 1925 en passant par l'invasion des troupes britanniques et françaises de Port Saïd en Egypte en 1956 et jusqu'aux invasions les plus récentes dans la région, il semble que la question est devenue un élément régulier du monde contemporain, dans un lien transparent à l'époque coloniale.

La constante dans la tactique classique impériale est l'utilisation de divisions ethniques pour renforcer l'occupation étrangère, comme cela s’est passé avec les Américains en Irak, ou les Français en Syrie et au Liban, et avec les Britanniques partout où qu’ils aillent.

Maintenant que les divisions sectaires et religieuses sont exacerbées grâce à l'occupation américano-britannique de l'Irak, voici les Etats du Golfe qui se mettent à leur tour à manier ces exacerbations pour éviter le défi que représente le printemps arabe : en écrasant le soulèvement à Bahreïn, en isolant les contestations chiites en Arabie saoudite, et en provoquant le conflit sectaire en Syrie (où l’ingérence étrangère ne peut que qu’accroitre les tueries).

7- Le parrainage de l'Occident à l'occupation de la Palestine empêche des relations normales avec le monde arabe

Israël ne serait jamais né sans le rôle impérialiste britannique qui s’est poursuivi durant 30 ans en Palestine et le parrainage britannique d’une invasion européo-judéenne sous la bannière de l'application de la Déclaration Balfour de 1917. Une Palestine indépendante avec une majorité arabe n’aurait ou l’accepter. Ce qui a provoqué une révolte arabe contre les Britanniques dans les années trente, alors que les soldats britanniques assiégeaient les Palestiniens «terroristes» en Cisjordanie (Naplouse et Tulkarem), comme le fait leurs successeurs Israéliens aujourd'hui.

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La Grande Bretagne colonialiste s’est pendant longtemps présentée, en Palestine comme ailleurs, comme «le parrain de la loi et de l'ordre» et «le maitre de la situation» contre les «risques de rébellion», comme ceci fut indiqué dans un faux bulletin d’informations en 1938 à Jérusalem. Mais le lien entre les puissances impérialistes occidentales et le projet sioniste a évolué d’une manière stratégique depuis la fondation d'Israël, à travers l'expulsion des Palestiniens au cours des guerres incessantes et 44 ans d'occupation militaire et d’une colonisation illégale en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza.

La nature de cette alliance inconditionnelle, qui demeure l’axe de la politique américaine au Moyen-Orient, est l'une des raisons pour lesquelles les gouvernements arabes élus démocratiquement  aujourd'hui, refusent de tourner dans l’orbite américaine à l’instar du dictateur égyptien Hosni Moubarak ou des monarques du Golfe. La question palestinienne fait partie de la culture politique des pays arabes et islamiques.

Il semble que  l’Amérique , tout comme la Grande-Bretagne avant elle, aura à lutter pour maintenir son poste de  «maitre de la situation» au Moyen-Orient.

(The Guardian)

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