L'échec de l'Union européenne

Peter Schwarz
Il y a moins d'un an, la disparition de l'euro et l'éclatement de l'Union européenne étaient généralement vus comme impensables. Aujourd'hui, ce sont les principaux thèmes soulevés dans la politique européenne et les médias.
La chancelière allemande Angela Merkel a récemment mis en garde le parlement: « Si l'euro échoue, l'Europe échoue. » Des avertissements semblables ont été lancés par le président français Nicolas Sarkozy. Non seulement la presse britannique, reconnue pour entretenir de sérieux doutes sur l'euro, mais aussi Le Monde et Die Zeit n'écartent plus la possibilité de la faillite de la monnaie commune européenne.
Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, décrit les conséquences économiques de ce développement de la manière la plus noire. L'éclatement de la zone euro entraînerait un krach économique qui éliminerait instantanément la moitié de la valeur de l'économie de l'Europe, plongeant le continent dans une dépression aussi grave que celle des années 1930, déclare-t-il.
Mais l'alternative proposée par Merkel, Sarkozy et Barasso pour éviter une telle catastrophe ne serait pas moins désastreuse. Elle équivaut à la mise en place d'une dictature des marchés financiers sur tous les aspects de la vie sociale. Les récents événements survenus en Grèce et en Italie viennent le confirmer. Dans ces deux pays, les gouvernements qui viennent d'être formé est composé d'experts choisis par l'UE n'ayant aucune légitimité démocratique. Leur tâche est de saccager les conditions de vie des gens et mettant en ouvre des mesures de rigueur sans précédent.
En fait, « sauver » l'euro par des mesures d'austérité ou par la partition de l'Europe ne représente pas deux stratégies politiques opposées, mais bien parallèles, servant le même but fondamental. Le récent sommet de l'UE à Bruxelles a mis la table pour la réalisation de ces deux plans. Il a décrété des mesures de rigueur punitives à l'endroit de la Grèce et de l'Italie et a subordonné le budget grec au contrôle de la « troïka » - l'Union européenne, le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne. Du même coup, il n'a pas rejeté l'idée que la Grèce soit exclue de la zone euro.
La chancellerie de Merkel a déjà préparé des études sur les implications financières d'une telle mesure, et si un pays venait qu'à quitter la zone euro, l'exode d'autres pays serait presque inévitable.
Le sommet de Bruxelles a aussi résulté en l'aggravation d'une autre profonde division. La décision qui a été prise de coordonner plus étroitement les politiques financières et économiques des 17 nations de la zone euro et de créer des institutions de gouvernance économique va entraîner la marginalisation des dix États membres de l'UE qui demeurent à l'extérieur de la zone euro. Une division de l'Europe en un centre dominé par l'Allemagne et la France et une périphérie impuissante est en préparation. Londres, en particulier, s'est nettement opposé à un tel développement.
L'Union européenne est confrontée à un dilemme insoluble. Si l'euro disparaît, l'UE éclate. Mais si l'euro est maintenu en vie par un noyau européen dominé par l'Allemagne ou par l'Allemagne et la France, cela conduira également à l'éclatement de l'Europe. Dans les deux cas, le résultat sera la balkanisation de l'Europe et une rechute dans le type de conflits nationaux qui ont produit deux guerres mondiales au cours du siècle dernier.
Il y a longtemps que les marxistes ont anticipé l'éclatement de l'Union européenne. Dans les années 1920, Léon Trotsky, qui considérait l'unification de l'Europe comme une nécessité urgente, a publié de nombreux articles sur le sujet. Il a souligné qu'il était impossible d'unifier l'Europe sur une base capitaliste parce que la propriété capitaliste est indissolublement liée à l'État-nation. La bourgeoisie, en conflit avec la classe ouvrière et en concurrence avec ses rivaux internationaux, a besoin de l'État-nation pour défendre ses intérêts de classe et ne peut exister sans lui.
Dans un article publié par la Pravda en 1923, Trotsky écrivait : « L’Europe ne peut se développer économiquement à l'intérieur des frontières imposées à Versailles. L’Europe est forcée soit de retirer ces frontières ou de faire face à la menace d'un déclin économique total. Mais les méthodes employées par la bourgeoisie dirigeante pour surmonter les frontières qu'elle a elle-même créées ne font qu'augmenter le chaos existant et accélérer la désintégration. »
En 1989, lorsque les régimes staliniens en Europe de l'Est étaient en déclin et que des illusions dans une Europe capitaliste prospère étaient largement promues, le Comité international de la Quatrième Internationale a écrit dans son manifeste pour les élections européennes : «  Le marché unique européen ne signifie pas l'unité de l'Europe. Bien au contraire, cela ne fait que créer l'arène pour que les conglomérats européens les plus puissants, lesquels ont déjà combattu dans deux guerres mondiales dans ce siècle, reprennent leur lutte pour la domination européenne. Cela va de pair avec une nouvelle vague de concentration et de monopolisation du capital et porte les contradictions politiques, économiques et sociales à de nouveaux sommets ».
Les récents développements ont totalement confirmé cette analyse.
Les avancements faits dans l'intégration de l'Europe au cours de la seconde moitié du vingtième siècle ont été le résultat de circonstances historiques extraordinaires : la suppression des luttes de classe par le stalinisme et la social-démocratie puis l'immense pouvoir économique des États-Unis, à la base de la relance de l'économie européenne ravagée par la guerre avec le Plan Marshall et l'établissement du dollar comme monnaie mondiale. Le front commun contre l'Union soviétique dans la guerre froide a aussi aidé à souder ensemble les puissances européennes.
Mais même l'État-nation le plus puissant économiquement ne pouvait pas fournir un cadre durable et viable pour le développement de l'économie mondiale de manière progressiste. La tentative des États-Unis de reconstruire le capitalisme mondiale sous sa tutelle et sa domination n'a fait que créer les conditions pour la montée de puissants rivaux en Europe et en Asie et pour son propre déclin.
Les intérêts nationaux conflictuels n'ont d'ailleurs jamais été résolus. Plutôt, le processus d'intégration a généralement fonctionné en accord avec les intérêts nationaux de chacun des pays impliqués : l'Allemagne a obtenu un accès plus facile aux marchés pour ses exportations ; la France a pu contrôler son ennemi allemand traditionnel ; la Grande-Bretagne a obtenu l'accès au marché européen après la disparition de son empire tout en conservant le rôle spécial de la City de Londres. Maintenant, le déclin économique des États-Unis et la crise financière internationale ravivent les antagonismes nationaux en Europe.
Les défenseurs d'une Europe unie sous l'égide de l'UE ont souvent établi une comparaison avec les États-Unis. Mais les Etats-Unis d'Amérique sont le produit de deux révolutions : la guerre d'indépendance au 18e siècle et la guerre civile au 19e. Les deux étaient mues par des idéaux progressistes qui ont inspiré des millions de personnes : la souveraineté populaire et l'abolition de l'esclavage.
Le projet de l'UE, à l'opposé, n'a jamais eu de but plus élevé que la libre circulation des marchandises et du capital. Il a commencé avec la Communauté du charbon et de l'acier et a atteint son apogée avec le marché unique et la monnaie commune. Son manque d'appui populaire est devenu évident en 2005, lorsque les électorats français et néerlandais ont rejeté la proposition de constitution européenne en raison de son orientation de droite et néolibérale.
La crise financière internationale a exposé pleinement l'incompatibilité de l'Union européenne et des intérêts élémentaires de ses habitants. L'Union européenne ne permet pas des alternatives progressistes et démocratiques. Le choix entre l'euro et une monnaie nationale ou entre l'Union européenne et une souveraineté nationale est un choix entre des alternatives réactionnaires : la dictature directe du capital financier et sa dictature indirecte par la balkanisation du continent.
La vraie alternative est entre une Europe capitaliste ou socialiste. La crise actuelle pose deux alternatives complètement opposées : la révolution sociale ou la descente vers la guerre, la crise économique et la dictature.
Sans briser la poigne de fer des marchés financiers, sans exproprier les banques, les conglomérats et les fortunes privés en les plaçant au service de la société dans son ensemble, il n'y a pas de solution possible. La ligne de démarcation en Europe n'est pas entre les Grecs et les Allemands, les Portugais et les Français ou les Irlandais et les Britanniques, mais plutôt entre la classe ouvrière qui est forcée de payer pour la crise et l'aristocratie financière qui continue de s'enrichir, accompagnée de ses valets dans l'Union européenne, les gouvernements nationaux et tous les partis de l'establishment.

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